Plus de 661 000 victimes avérées et près de 17 millions de personnes contaminées aux quatre coins de la planète ! Voilà le triste bilan de la pandémie de Covid-19 depuis que le SARS-CoV-2 est apparu en Chine, en fin d’année dernière. La France n’a pas été épargnée, loin de là. D’après Santé publique France, en juin 2020 plus de 166 000 personnes avaient contracté la maladie et quasiment 30 000 sont décédées depuis le début de l’épidémie. Dans ce contexte, “jamais la mission de l’Inserm n’a été aussi importante“, assure Éric D’Ortenzio1, médecin épidémiologiste à l’Inserm et coordinateur scientifique du consortium REACTing, un acteur central de la lutte contre la pandémie. Face à celle-ci, la réponse des chercheurs de l’Inserm a été unanime. “Il y a une mobilisation énorme pour la recherche contre le Covid-19“, se réjouit l’épidémiologiste. L’Institut est ainsi impliqué dans plus de 450 publications scientifiques sur cette maladie encore inconnue il y a quelques mois. Pour autant, il reste de nombreuses zones d’ombres à éclaircir pour combattre efficacement le virus et mettre un terme à la pandémie. Pour faire le point, le magazine de l’Inserm vous propose un tour d’horizon des travaux menés en France sur le SARS-CoV-2 et la maladie qu’il provoque, le Covid-19.
Comprendre le virus pour mieux le vaincre
Le SARS-CoV-2 est un nouveau membre de la grande famille des coronavirus. Ceux-ci provoquent généralement des rhumes ou des syndromes grippaux bénins qui disparaissent spontanément. Toutefois, depuis le début du siècle, trois épidémies mortelles ont été causées par des coronavirus émergents : le SARS-CoV-1 en 2003, le MERS-CoV en 2012 et enfin le SARS-CoV-2 qui est apparu en Chine en fin d’année dernière. Ce dernier ressemble d’ailleurs beaucoup à son cousin, le SARS-CoV-1. “Ces deux virus sont semblables à 80%“, indique Isabelle Imbert2, biologiste au CNRS et professeur à Aix-Marseille Université. Certains mécanismes d’infection sont aussi similaires. Ces deux virus utilisent la même cible pour se fixer aux cellules humaines : le récepteur ACE2. Impliquée en temps normal dans la régulation de la pression artérielle, cette protéine est située à la surface de certaines cellules présentes sur la paroi des voies respiratoires mais aussi sur celles des vaisseaux sanguins ou encore des intestins. Le virus se fixe à ces récepteurs via la protéine S (pour “spicule”, ou Spike en anglais), qui hérisse son enveloppe extérieure. “C’est notamment au niveau de cette protéine que les deux souches de SARS-CoV diffèrent“, constate la biologiste. Une fois arrimé aux cellules, le virus pénètre à l’intérieur de celles-ci et détourne leur machinerie cellulaire afin de se répliquer en grand nombre. Ce sont ces mécanismes de réplication que l’équipe d’Isabelle Imbert cherche à caractériser pour mieux les enrayer. Grâce à des études in vitro et à des modélisations informatiques dites in silico, ces chercheurs espèrent en effet pouvoir inhiber spécifiquement une enzyme essentielle à la réplication du virus, la polymérase. “Nous disposerions alors d’un traitement avec peu d’effets secondaires car cette activité enzymatique n’est pas retrouvée chez l’Homme“, poursuit Isabelle Imbert. Cette idée a d’ailleurs su convaincre REACTing et l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui contribuent au financement de ce projet.
Outre les mécanismes biologiques de l’infection, il est crucial de connaître l’histoire naturelle du Covid-19, la maladie causée par le SARS-CoV-2. “C’est le premier objectif de la cohorte observationnelle French Covid-19 mise en place dès l’apparition des premiers cas sur le territoire“, explique Yazdan Yazdanpanah3, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat de Paris et membre du conseil scientifique Covid-19. Ce travail a débuté par la description des cinq premiers malades diagnostiqués à l’hôpital Bichat à la fin du mois de janvier. Trois types très différents de présentations cliniques ont alors été mis en évidence : deux cas peu symptomatiques à l’issue favorable, deux conditions initialement rassurantes mais qui s’aggravent au bout de dix jours et une forme immédiatement grave avec une atteinte de nombreux organes. Depuis la description de ces premiers cas, plus de 3 000 patients hospitalisés sur tout le territoire pour cause de Covid-19 ont été inclus dans la cohorte. “Les données recueillies nous permettent de mieux appréhender la maladie, ses symptômes ou encore les réponses aux traitements“, continue l’infectiologue. Autant d’informations essentielles pour aider les soignants à lutter contre le Covid-19. Par ailleurs, cette cohorte a permis la création d’une banque d’échantillons. “Cette biobanque permet de nourrir la recherche fondamentale et clinique, déclare Yazdan Yazdanpanah. En mettant ces prélèvements à dispositions des chercheurs, ceux-ci peuvent par exemple étudier le génome du virus ou encore ses interactions avec notre système immunitaire.“
La réponse du système immunitaire au virus est en effet très variable d’un individu à l’autre. La majorité des personnes infectées guérissent d’ailleurs spontanément du Covid-19. Mais environ 20% d’entre elles doivent être hospitalisées et 5% le sont pour des formes très graves de la maladie. Ces dernières souffrent généralement d’insuffisances respiratoires aiguës. Et parfois de thromboses : des caillots de sang se forment dans leurs veines, ce qui réduit la circulation sanguine et donc l’approvisionnement en oxygène, aggravant encore les problèmes respiratoires. Les cohortes observationnelles comme French Covid-19 ont permis d’identifier plusieurs facteurs susceptibles de favoriser l’aggravation de la maladie. C’est le cas par exemple des antécédents cardiovasculaires, du diabète, des maladies chroniques et respiratoires mais aussi de l’obésité. Deux études coordonnées par des chercheurs de l’Inserm dans des hôpitaux de Lille et de Lyon confirment une prévalence plus importante de personnes obèses en réanimation pour cause de Covid-19 que dans la population générale. L’âge joue aussi un rôle de premier plan dans les formes graves de la maladie. Selon les données accumulées par Santé publique France depuis le 1er mars, l’âge médian des personnes hospitalisées dans les établissements de santé français est en effet de 72 ans. Et parmi ceux qui y sont décédés, 71% étaient âgés de 75 ans et plus.
Vers des pistes thérapeutiques robustes
Sans traitement qui cible directement le virus, les soignants se sont trouvés désarmés pour lutter contre cette maladie qui n’existait pas il y a quelques mois encore. Face à cette urgence sanitaire, la stratégie la plus rapide et efficace consiste à repositionner des médicaments existants pour lutter contre le virus. “Des molécules dont on connaît la toxicité seront plus rapidement mises à disposition des patients”, confirme Bruno Lina4, responsable d’équipe Inserm au Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) de Lyon et membre du conseil scientifique Covid-19. Cette approche est d’ailleurs centrale dans les travaux du laboratoire qu’il dirige au Ciri. “Nous avons notamment développé un modèle préclinique d’infection très proche de la physiologie humaine, qui nous permet de tester de nombreux médicaments“, précise le virologue. À ce jour, “aucune molécule n’a encore montré une efficacité remarquable, mais des signaux intéressants ont été mis en évidence pour quelques-unes d’entre elles comme le naproxène, un anti-inflammatoire non stéroïdien“. Des résultats qui restent à confirmer sur des modèles expérimentaux et en pratique clinique.
Des études ont déjà été mises en place pour évaluer l’efficacité de médicaments potentiellement actifs contre le SARS-CoV-2. C’est notamment le cas de Discovery, coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium REACTing. Cet essai clinique européen a été mis en place en un temps record et a débuté dès le 22 mars dernier. Début juillet, cette étude comptabilisait 763 patients hospitalisés sur les 3 200 prévus à l’échelle de l’Europe. “Le rythme d’inclusion est aujourd’hui faible“, reconnaît Bruno Lina. “La partie européenne a mis du temps à se mettre en place, compte tenu de problèmes de financement et de régulation mais aussi à cause de certaines réticences“, ajoute Yazdan Yazdanpanah, président du comité de pilotage de l’essai. Pour autant, les données ne sont pas recueillies en vain, loin de là. Discovery fait en effet partie intégrante de Solidarity, le consortium d’essais cliniques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui regroupe près de 5 500 patients de 21 pays et qui évalue les mêmes molécules. À savoir, initialement, le remdésivir, un antiviral conçu pour lutter contre le virus Ebola. Ensuite, le lopinavir et le ritonavir, des antiviraux habituellement utilisés contre le VIH. Cette combinaison lopinavir/ritonavir a été évaluée en association ou non avec l’interféron bêta-1a, un immunomodulateur qui réduit l’inflammation en limitant l’action de certains messagers chimiques émis par nos cellules immunitaires : les cytokines pro-inflammatoires. Et enfin, l’hydroxychloroquine, un antipaludéen très médiatisé comme traitement potentiel du Covid-19, mais dont des analyses intermédiaires ont montré une absence d’efficacité pour réduire la mortalité des patients hospitalisés par rapport aux soins standards. Quant aux antiviraux évalués, les résultats devraient être disponibles d’ici la fin de l’été. Mais “aucune de ces molécules n’est probablement très efficace pour abaisser la mortalité car nous aurions déjà dû voir des effets positifs“, regrette Yazdan Yazdanpanah. Pour cette raison, Solidarity et Discovery qui ont été conçus comme des essais adaptatifs, interrompent, en juillet, les essais sur les bras lopinavir/ritonavir avec ou sans interféron bêta. Une réflexion est en cours pour tester de nouveaux traitements – grâce à la grande plasticité de ces études qui permettent de réévaluer constamment les protocoles de recherche afin de prendre en compte les résultats internationaux les plus récents et les plus robustes.
Un ensemble d’essais cliniques de repositionnement de médicaments est aussi en cours dans une cohorte de patients atteints de pneumopathie causée par le virus, Corimuno-19. “Grâce à un protocole d’essais contrôlés randomisés multiples nichés au sein de cette cohorte, nous pouvons évaluer simultanément plusieurs molécules, et ainsi accélérer la recherche, tout en gardant un niveau élevé de qualité méthodologique et de sécurité pour les malades“, se réjouit Pierre-Louis Tharaux5, directeur de recherche Inserm et un des coordonnateurs du projet. Porté par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec le soutien de REACTing, Corimuno-19 s’intéresse en particulier à plusieurs immunomodulateurs. Le but est de savoir si ces médicaments, notamment prescrits contre des maladies auto-immunes, peuvent limiter l’emballement du système immunitaire de certains patients hospitalisés. Cet emballement, désigné sous le terme d’”orage cytokinique”, conduit à une production excessive de cytokines, qui contribue à la dégradation rapide de l’état de santé. Trois molécules dirigées contre des cytokines ou leur récepteur cellulaire ont pour le moment pu être évaluées : le sarilumab, le tocilizumab et l’anakinra. Environ 700 patients de 30 centres cliniques ont participé à ces essais. “Les résultats sont en phase finale de validation, poursuit le chercheur. Ils permettront de déterminer si ces molécules, notamment le tocilizumab, réduisent le risque de mortalité pour les patients en détresse respiratoire comme cela a été observé dans plusieurs études rétrospectives.” Le projet Corimuno-19 s’intéresse aussi à l’efficacité et à la tolérance d’anticoagulants et de corticoïdes. Ces traitements sont utilisés pour réduire respectivement le risque de thrombose et l’inflammation, des complications apparemment liées aux orages cytokiniques. Ces études observationnelles pourraient permettre de conforter les résultats préliminaires de l’essai clinique britannique Recovery sur la dexaméthasone. Ce corticoïde peu coûteux et largement disponible réduirait en effet de manière significative la mortalité de patients qui présentent une insuffisance respiratoire sévère. Dernier volet du projet Corimuno-19, l’essai Coriplasm vise à évaluer l’efficacité de la transfusion de plasma de patients guéris du Covid-19 contre la maladie. Leur plasma contient en effet des anticorps dirigés contre le virus. Les transfuser pourrait aider des patients hospitalisés à combattre l’infection.
La piste des anticorps est d’ailleurs en mesure de devenir une approche thérapeutique efficace en attendant la production de vaccins. Des dizaines d’équipes de recherche dans le monde tentent d’identifier des anticorps qui pourraient avoir une action thérapeutique contre le virus. C’est aussi le but de l’équipe Inserm d’Hugo Mouquet6 à l’institut Pasteur de Paris. “À partir de prélèvements sanguins de patients, notamment de la cohorte French Covid-19, nous avons déjà pu produire et caractériser 60 anticorps humains. Ceux-ci sont spécifiques de la protéine S, une des cibles privilégiées de notre système immunitaire dans sa lutte contre le SARS-CoV-2, explique Hugo Mouquet. Quelques-uns d’entre eux sont intéressants car ils présentent à faible dose une activité neutralisante qui permet de bloquer l’infection des cellules.” Si ces résultats se confirment sur des modèles expérimentaux et cliniques, ils pourraient être produits en grande quantité pour traiter la maladie. Bien que coûteux, ces anticorps dit “monoclonaux” [car ils reconnaissent une seule et même partie d’un antigène] seraient aussi susceptibles d’être prescrits de manière prophylactique pour protéger les populations les plus exposées et/ou les plus vulnérables. Par ailleurs, les connaissances acquises sur les anticorps et les mécanismes de la réponse immunitaire pourront à terme contribuer à développer des vaccins plus efficaces.
Développer des vaccins efficaces et sûrs est le meilleur moyen de protéger les populations. Une vingtaine vaccins sont en cours d’évaluation clinique dans le monde même si seulement trois d’entre eux sont en phase 3 – cette dernière étape de validation qui permet de confirmer l’efficacité d’une stratégie thérapeutique ou vaccinale sur un nombre important de personnes. Par ailleurs, plus de 130 candidats vaccins sont aussi en développement.
L’horizon encore lointain de la vaccination
En France, une trentaine d’équipes de recherche sont entrées dans la course. Les travaux les plus avancés sont probablement ceux coordonnés par Frédéric Tangy de l’institut Pasteur. L’idée ici est d’utiliser le vaccin atténué de la rougeole comme vecteur pour présenter des antigènes du SARS-CoV-2, ces éléments du coronavirus aptes à déclencher une réponse immunitaire suffisante pour nous immuniser sans nous rendre malades. Un essai clinique de phase 1 pour vérifier la sureté et la tolérance de ce vaccin est d’ailleurs prévu à la fin de l’été. À l’Inserm, ce sont une douzaine d’équipes qui sont impliquées dans des projets de recherche vaccinale contre le Covid-19. Trois d’entre eux viennent de faire l’objet d’un financement du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur l’avis d’un comité d’experts coordonné par REACTing. Le premier est développé par l’équipe de Camille Locht7, du centre Infection et immunité de Lille, qui mise sur le vaccin contre la coqueluche comme vecteur. Le deuxième projet est porté par l’équipe d’Yves Lévy8, de l’Institut de recherche vaccinale (VRI) de Créteil. Leur stratégie consiste à faire présenter des antigènes du virus par des anticorps monoclonaux. Enfin la formule vaccinale prônée par Patrice Marche9, directeur de recherche Inserm à l’Institut pour l’avancée des biosciences (IAB) de Grenoble, repose sur des particules composées de lipides naturels. “Ce sont ces gouttelettes lipidiques de la taille d’un virus qui porteront les antigènes capables d’induire une réponse du système immunitaire“, explique l’immunologiste. Cette approche développée en collaboration avec le Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (Leti) du CEA a déjà fait ses preuves avec des antigènes du VIH sur des modèles expérimentaux. “Le processus industriel de production de ces particules est déjà en place et leur contrôle qualité est simple. Deux atouts de taille pour produire rapidement un vaccin dans l’urgence, se félicite Patrice Marche. Il nous reste à prouver que les antigènes induisent une réponse immunitaire protectrice.” En cas de succès, ce candidat vaccin de deuxième génération pourrait entrer en phase d’essai clinique en fin d’année prochaine.