Dans la soirée du 15 avril 2019, la toiture et la flèche en plomb de la cathédrale Notre-Dame de Paris prenaient feu, provoquant la retombée de poussières de plomb dans l’environnement.
Dès le lendemain de l’incendie, l’Agence régionale de santé Île-de-France s’est mobilisée, en lien notamment avec la préfecture de région et la Ville de Paris, pour évaluer et prévenir les risques sanitaires. Cette mobilisation a reposé sur une stratégie consistant à :
- effectuer des prélèvements surfaciques sur la voirie en partant de la cathédrale pour identifier de proche en proche la présence éventuelle de concentrations atypiques de poussières de plomb, notamment à proximité des lieux accueillant des enfants (écoles, aires de jeux, parcs) ;
- inciter au dépistage (plombémies) des personnes à risque, principalement les enfants et les femmes enceintes, dans les arrondissements de Paris proches de la cathédrale ;
- prendre les mesures de gestion adaptées en cas de prélèvements surfaciques, d’analyses de terres ou de plombémies élevées (nettoyage des sols, suppression des sources de plomb pouvant encore exister dans certaines habitations ou certains établissements accueillant des enfants, restriction de l’accès aux terres des jardins, …) ;
- plus globalement, informer largement la population et la communauté médicale sur le risque plomb.
Au-delà de ces mesures, l’ARS Ile-de-France a lancé une série d’investigations complémentaires visant à faire progresser la connaissance de l’exposition au plomb dans notre environnement et affiner, si nécessaire, les réponses sanitaires pour y faire face :
- modélisation du panache de fumée (INERIS),
- documentation des sources d’exposition au plomb chez les enfants présentant des plombémies élevées (Santé publique France et CAPTV),
- étude du « bruit de fond » de poussières de plomb habituellement présentes dans l’environnement parisien (ANSES),
- caractérisation isotopique des poussières de plomb issues de Notre-Dame (EHESP/LERES),
- pertinence ou non d’un réexamen des normes et des mesures de gestion préconisées (Haut conseil de la santé publique).
Un bilan complet au 30 septembre avait été réalisé à l’occasion des 6 mois de l’incendie, avec la préfecture de région Île-de-France. Le présent bilan actualise ce document.
1. Bilan et suivi des dépistages (plombémies)
Depuis le 16 avril 2019, 1 216 enfants, âgés de 6 mois à 17 ans, ont fait l’objet d’une plombémie sur les 1er, 4e, 5e, 6e et 7e arrondissements de Paris (contre 877 fin septembre, soit 339 de plus).
Sur l’ensemble des dépistages :
- 1 103 étaient inférieurs au seuil de vigilance de 25 µg/L ;
- 100 étaient compris entre le seuil de vigilance (25 µg/L) et le seuil de déclaration obligatoire (50 µg/L), soit 21 de plus que dans le bilan à 6 mois ;
- 13 étaient supérieurs au seuil de déclaration obligatoire (50 µg/L) dont 2 audessus de 100 µg/L. Cela représente 1 enfant de plus avec une plombémie supérieure au seuil de déclaration obligatoire, dépisté en décembre.
En pourcentage, la répartition de ces dépistages est la suivante : 90,7 % inférieurs à 25 µg/L, 8,2 % compris entre 25 et 50 µg/L, 1,1 % au-dessus de 50 µg/L.
Comme le constat en avait déjà été fait à l’occasion du bilan à 6 mois, la part des plombémies élevées est proche, et même un peu inférieure, à celle de l’étude Saturn-Inf réalisée en 2008-2009 par Santé publique France auprès d’enfants âgés de 6 mois à 6 ans en population générale (1,5 % au-dessus de 50 µg/L, près de 10 % entre 25 et 50 µg/L dans cette étude, sur laquelle le HCSP s’était appuyé pour fixer le seuil de vigilance et le seuil de déclaration obligatoire).
Cela ne signifie pas nécessairement qu’il n’y aurait aucune incidence de l’incendie de Notre-Dame sur les plombémies des personnes habitant à proximité, mais cela montre que cette incidence n’est pas certaine ou ne semble pas, en tout cas, très significative dans l’état actuel des informations.
Sur les 113 enfants ayant une plombémie supérieure à 25 µg/L, 52 ont bénéficié d’une plombémie de suivi (qu’il est recommandé aux familles de réaliser entre 3 à 6 mois après la première plombémie mais l’épidémie de Covid-19 a fortement ralenti ces démarches depuis début mars). Les familles concernées se sont également vues proposer une investigation prise en charge par l’Agence à leur domicile, visant à mesurer la concentration en plomb dans les poussières à l’intérieur des habitations.
Les plombémies ont diminué très significativement pour presque tous les enfants (médiane de diminution par rapport à la plombémie initiale : -27 %), notamment pour les enfants au-dessus du seuil de déclaration obligatoire pour lesquels une source d’exposition au plomb dans l’environnement habituel a été décelé dans presque tous les cas (balcons notamment).
Seuls 4 enfants sur 52 n’ont pas vu leur plombémie diminuer : 3 enfants dont la plombémie est restée sensiblement au même niveau et 1 enfant dont la plombémie a augmenté (+27 %). De nouvelles investigations sont menées pour déterminer l’origine de cette augmentation pour cet enfant, à partir des enquêtes environnementales et des questionnaires réalisés auprès des familles.
Dans les prochains mois, et de manière compatible avec les règles visant à éviter la propagation du Covid-19, il sera important de continuer à sensibiliser l’ensemble des familles à faire la démarche d’une plombémie de suivi dans les 6 mois après le premier dépistage, afin de repérer les cas éventuels où les plombémies ne diminueraient pas et préconiser les mesures nécessaires.
Par ailleurs, à la demande de l’ARS, Santé publique France (SPF) a documenté, avec le centre antipoison et de toxicovigilance (CAP-TV), les sources d’exposition au plomb chez tous les enfants ayant réalisé une plombémie sur les arrondissements concernés par le dispositif de surveillance. Ce travail d’épidémiologie comparative permettra de mieux connaitre les déterminants des plombémies. Santé publique France et le CAP-TV ont cependant dû interrompre ces travaux pour pouvoir se consacrer pleinement à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 ; leurs équipes les reprendront dès qu’elles seront à nouveau en mesure de le faire.
Mise à jour de la cartographie des prélèvements au sol
La carte des prélèvements de poussières de plomb au sol est régulièrement mise à jour.
Cette carte inclut les prélèvements effectués avant l’incendie autour de Notre-Dame par la DRAC en 2018, l’ensemble des campagnes de prélèvements effectuées par le LCPP (laboratoire central de la préfecture de police de Paris) à Paris et hors de Paris pour documenter les retombées potentielles du panache de fumée, et les prélèvements de surveillance réalisés sur le premier trimestre 2020 autour de la cathédrale par la maitrise d’ouvrage « plomb » du chantier de reconstruction de la cathédrale.
Ces derniers prélèvements montrent une stabilité des concentrations de poussières de plomb aux abords de la cathédrale, hors zone de chantier et hors parvis, à des niveaux relativement bas.
Investigations complémentaires
Modélisation du panache de fumée par l’Ineris
L’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques) a remis ses travaux de modélisation du panache de fumée le 27 novembre 2019. Ces travaux ont déjà fait l’objet d’une présentation. Ils montrent que l’essentiel des retombées de poussières de plomb s’est faite à proximité immédiate de la cathédrale et confirment que le panache de fumée issu de l’incendie s’est étendu vers l’ouest jusqu’à Mantes-la-Jolie, emportant une quantité relativement faible de poussières de plomb (estimation, dans l’état des connaissances disponibles, de 150 kg sur les 460 tonnes de la toiture et de la flèche).
De nombreux prélèvements complémentaires réalisés par le LCPP ont corroboré une présence très faible de poussières de plomb au sol aux endroits survolés par le panache de fumée (entre 0 et 100 µg/m² en général dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines, moins de 1 000 µg/m² dans les arrondissements de l’ouest parisien).
Travaux de l’ANSES sur le « bruit de fond » parisien
En réponse à la saisine de la Direction générale de la santé et de la Direction générale du travail, sollicitées par l’ARS Île-de-France, l’ANSES a remis le 7 février son avis sur la contamination d’espaces extérieurs par le plomb (« bruit de fond »). Ses recommandations convergent avec les actions mises en œuvre dans l’urgence par l’ARS au lendemain de l’incendie de Notre-Dame :
- prendre en compte les poussières déposées sur les surfaces des espaces publics extérieurs comme source contributive possible d’exposition ;
- cibler plus particulièrement les lieux fréquentés par les enfants ;
- rappeler les gestes de prévention (respect des gestes d’hygiène des mains, nettoyage humide des surfaces des espaces intérieurs, …) ;
- inciter au dépistage des publics pour lesquels une exposition au plomb représente le risque sanitaire le plus important, c’est-à-dire les enfants et les femmes enceintes.
Cet avis vient à apporter un appui méthodologique à la démarche visant à documenter le « bruit de fond » parisien. Comme elle s’y était engagée lors de la remise de cet avis, l’ARS va confier au LCPP, en lien avec d’autres laboratoires qu’il coordonnera, le soin de tester la méthode de prélèvement la plus appropriée pour documenter ce « bruit de fond ». L’épidémie de Covid 19 a obligé à suspendre temporairement le lancement de ces travaux, qui devraient pouvoir débuter avant l’été. La réalisation d’un référentiel décrivant le « bruit de fond » parisien selon cette méthode sera engagée ensuite.
Caractérisation isotopique du plomb de Notre-Dame
Ce travail confié au LERES (Laboratoire d’étude et de recherche en environnement et santé, de l’EHESP), va publier ses premières conclusions très prochainement. Les premiers résultats semblent indiquer que le plomb de Notre-Dame est homogène mais aussi que ce plomb se retrouve déjà couramment dans l’environnement urbain et sera difficile à distinguer des autres résidus de plomb existants. Ces premières orientations restent à confirmer.
Saisine du Haut conseil de la santé publique (HCSP) sur le cadre normatif et les mesures de gestion
Suite à la demande de l’ARS, la Direction générale de la santé a saisi le HCSP en février sur la question des normes et des mesures de gestion à appliquer, au regard de l’expérience de la gestion de crise qui a suivi l’incendie et des différents travaux menés depuis. L’épidémie de Covid 19 a cependant reporté l’examen de cette saisine par le HCSP.
Travaux récents de Santé publique France
Par ailleurs, Santé publique France a publié en mars deux documents sur le risque plomb. Le premier actualise son guide d’évaluation environnementale devant un cas de saturnisme ; il met notamment à jour la liste des sources possibles de plomb dans l’environnement habituel (habitation, eau, tabac, etc.).
La seconde publication porte sur les plombémies en population générale des enfants de plus de 6 ans et des adultes sur les années 2014-2016, résultats issus de l’enquête Esteban. Cette étude confirme la tendance à la baisse de l’imprégnation par le plomb en France, comme partout dans le monde (plombémie moyenne de 10 µg/L pour les enfants âgés de 6 à 18 ans et de 18 µg/L pour les adultes en 2014-2016, alors qu’elle était de 37 µg/L en 1995-1996 pour les enfants de 1 à 6 ans et de 15 µg/L dans l’étude Saturn-Inf de 2008-2009 pour des enfants de 6 mois à 6 ans).
Cette tendance se retrouve dans la répartition des plombémies : pour les enfants de l’étude (enfants âgés de 6 à 17 ans), seul 1 sur 900 a une plombémie supérieure au seuil de déclaration obligatoire de 50 µg/L et un autre est à la limite de ce seuil, contre 5 % des adultes ; de même pour le seuil de vigilance de 25 µg/L, 3 % pour les enfants de 6 à 17 ans, pour 31 % pour les adultes.
Ces résultats doivent nous interroger à la fois sur la rapidité à laquelle l’exposition au plomb semble baisser pour les nouvelles générations mais aussi sur la persistance localisée d’expositions habituelles au plomb, notamment en milieu urbain, dont la connaissance a déjà été affinée par l’ensemble des travaux déjà réalisés ces derniers mois – notamment les nombreux prélèvements du LCPP et les enquêtes environnementales menées aux domiciles des enfants ayant des plombémies élevées -, et qui sera encore approfondie par les travaux en cours (étude « bruit de fond », étude d’épidémiologie comparative de Santé publique France et du CAP-TV notamment).