Le « monde merveilleux » de Mickey ouvrira-t-il ses portes aux vacances de Noël ? La pandémie de Covid-19 a jeté un voile de brouillard hivernal sur Disneyland Paris, comme sur de nombreuses activités commerciales ou de loisirs. Les réservations (obligatoires) restent ouvertes pour des séjours du 19 décembre au 3 janvier 2021. Au cas où. « Nous espérons être ouverts pendant cette période, si les conditions sont réunies et les décisions gouvernementales le permettent », indique sobrement le parc sur son site internet.
10000 chambres d’hôtels vacantes
La grande avenue qui mène au château de la belle au bois dormant est déserte. Seuls trois employés des espaces verts s’activent à l’extérieur, à couper des branches d’arbre. De l’autre côté de la grille, un membre de la sécurité s’approche : « Il y a quelques centaines de personnes qui travaillent sur le site, électriciens, soudeurs, mais à ce jour, on n’a aucune perspective…». Les barrières sont tombées depuis quelques semaines. Même les salariés habituels ne peuvent pas entrer.
« C’est très filtré, un choix lié aux restrictions sanitaires », complète ce cadre historique, qui souhaite rester anonyme, « tout a été bien anticipé depuis mars, avant même les décisions du gouvernement sur les masques par exemple, avec un investissement lourd en termes de protection des visiteurs et des salariés ». Sur les plus de 2000 hectares du parc, tout a été repensé : signalétique, espacement, nettoyage…


En chiffres
1 : Disney « marque la plus puissante du monde » (2016)
6 % : ce que représente le parc Disney dans les recettes touristiques en France
15 millions : nombre de visiteurs annuels à Disneyland Paris pour un chiffre d’affaires estimé à 1,76 milliard d’euros
73 millions : nombre d’abonnés à son service de streaming Disney + en forte croissance
350 millions d’euros : l’augmentation de capital réalisée en mai par la maison-mère Disney pour son site français
600 millions d’euros : perte estimée à ce jour sur les sites Disney fermés en raison de la pandémie
17 milliards d’euros : recettes des parcs d’attractions Disney en 2018 (10 % de + qu’en 2017) soit 34 % du total de la firme
L’agitation habituelle, la fiesta et l’énergie des touristes étrangers ont laissé place à une morne plaine. Un décor enchanteur, mais figé. Les 17.000 « cast members » (« membres de la troupe ») du site français se sont évanouis dans la nature. Selon nos informations, moins de 15 % des employés de Disney travailleraient encore actuellement, sur place ou en télétravail.
Les saisonniers en CDD n’ont pas été repris. Signe de l’inquiétude de certains salariés : plusieurs dizaines de ruptures conventionnelles ont été signées ces derniers mois. « Il y a forcément des départs, mais c’est lié au tempérament de chacun. Une culture de la peur et une fébrilité chez certains, une confiance en l’entreprise chez les autres », décrit ce cadre, adepte du second choix.
Disney, c’est notre poumon
Dans une agence d’intérim de Val d’Europe, spécialisée dans le bâtiment, on dit accueillir des personnes en quête de reconversion, « mais sans toujours avoir la bonne qualification ». A proximité, les hôtels sont pour la plupart fermés. Résultat : 10000 chambres d’hôtels vacantes, désertées par les touristes étrangers qui représentent 50 % de la clientèle à Disneyland Paris. Tout un éco-système économique, une région à l’est de la capitale, souffre et craint pour son avenir.
« C’est une catastrophe, j’ai perdu 80 % de mon chiffre d’affaires en 2020 », souffle Simon, patron du « Fumoir » au sein du centre commercial Val d’Europe, vide lui aussi. « Disney est fermé, c’est normal, mais c’est notre poumon. Combien de prestataires vont mettre la clé sous la porte ? ». On estime habituellement que le site fait vivre, indirectement, 60000 personnes dans le secteur…

Cette ultra-dépendance irrite parfois. « Ils font la pluie et le beau temps ici », s’énerve un restaurateur, installé à Serris qui doit rester fermé. Comme à Chessy, à côté, les programmes immobiliers, validés par Disney, fleurissent aux extrémités de ces villes nouvelles. Malgré la crise. Là, des « mansions » de type londonien, plus loin, des immeubles Art déco tout droit sortis de Barcelone.
Dans cette « Disney city », une ex-Disney girl, serveuse débarquée il y a quinze ans d’Italie a monté « Solo Pizza » . « On pouvait aller jusqu’à 70 repas, on a perdu 50 % de notre chiffre », estime Luisa Terranova, « on a beaucoup d’administratifs de Disney habituellement, nous, ça nous coupe les ailes dans nos projets, on est mode survie ! ».
La priorité : pas de plan social
Chez les représentants syndicaux de Disney, tous sollicités, une seule a répondu : Dorothée Argence, de la CFE-CGC. « 25.000 salariés Disney licenciés aux Etats-Unis, ça fait peur ici, dans un climat déjà hyper-anxiogène, mais la direction du site a eu un message réconfortant. On doit rester optimistes, y compris sur la préservation de l’emploi, même si on n’a pas trop de visibilité ».
Mardi, une réunion doit aborder « le repositionnement de certains shows, le projet de refonte de l’offre spectacle ».
De nouvelles pistes sont étudiées quotidiennement. Mais d’autres syndicats dénoncent « un manque d’information de la direction de Disney ».
« Il y a effectivement eu un problème de communication descendante », admet notre interlocuteur, manager, « mais pour l’instant, la priorité, c’est éviter un plan social ». Le dernier date de 1993. Le cadre réfute également toute idée de fermeture du site. « Ce serait contradictoire avec le fait d’être sorti de la bourse en 2017 pour garder le contrôle », insiste celui qui évoque une « fantasmagorie » concernant Disney, « ce géant US qui soi-disant broie du salarié français ».
Ouvrir à Noël permettrait de rassurer investisseurs, salariés et touristes
Noël est sur la table de la « grande méchante souris ». Ouvrira, ouvrira pas ? « ça permettrait de rassurer investisseurs, salariés et touristes, mais est-ce économiquement viable ? », s’interroge notre cadre. Le projet de 2 milliards d’euros consacrés aux studios Disney pourrait être retardé. Célébrer dignement, en 2022, le trentième anniversaire du parc, restant chez Disney, après cette crise sanitaire sans précédent, le meilleur des « happy end ».
-et-president-de-l-agglomeration-val-d-europe-photo-dr-1605978625.jpg)
“L’impact économique et social de la fermeture de Disney est colossal”
Quel est l’impact de la fermeture du parc Disney sur l’agglomération ?
“Un impact économique et social colossal, monstrueux. L’ensemble de notre territoire est touché de plein fouet. Disney, qui représente 75 % des recettes de l’agglomération, est une machine à attirer le tourisme de masse et toute notre infrastructure économique qui est fragilisée, dont Vallée Village et Val d’Europe. La perte de l’agglomération sur l’année est estimée à 25 millions d’euros. Si on ajoute la fréquentation de Disney à celle de ces deux structures, on atteint 42 millions de personnes par an, soit davantage que Las Vegas…”
Vous travaillez étroitement avec le parc Disney ?
“Il y a une stratégie à amplifier ensemble dans cette crise sanitaire. On doit se serrer les coudes, même si on n’est pas toujours d’accord sur certains points spécifiques, comme sur le parc immobilier. Dans ma commune, beaucoup d’opérations sont engagées, avec une population qui croît de 30 % à chaque mandat*. Les banques vont-elles désormais accepter de financer les futurs acquéreurs ? On doit aussi trouver des alternatives au tourisme : attirer des entreprises dans la recherche, la santé”
Quelles sont vos principales inquiétudes aujourd’hui ?
” Nous sommes inquiets au niveau social en raison de la perte d’emplois. Sur la demande d’aide alimentaire, les chiffres explosent. En tant que maire j’étais hostile aux fermetures. L’État nous a laissés faire pour le premier confinement, et depuis, entre procédures et protocoles sanitaires, il ne nous a plus écoutés. Quelle sera son attitude vis-à-vis des collectivités locales en croissance comme nous ? À nous de bien agir en amont pour limiter la casse surtout dans notre territoire de ville à la campagne. On voit que l’attente de la réouverture de Disney reste forte. Toute une population a envie de revivre…”
Serris : 900 habitants en 1990, 8681 en 2020
Propos recueillis par X.F.